article Irish Times du 03 septembre 2012

ASSOCIATION POUR LA VERITE SUR L'ASSASSINAT DE SOPHIE TOSCAN DU PLANTIER née BOUNIOL

 
Le système juridique français pourrait fournir de précieuses indications aux réformes qui pourraient améliorer le sort des victimes en Irlande et rendre le système de justice pénale plus efficace. Des articles récents parus dans le Irish Times expriment les points de vue des victimes d'actes criminels sur le système pénal irlandais et mettent en évidence leur insatisfaction quant au fonctionnement du processus judiciaire irlandais et leur impuissance à peser de manière significative pour obtenir justice pour eux-mêmes ou pour leurs proches. Une victime citée par ce quotidien irlandais a perdu son fils dans une attaque à l’arme blanche. Elle dit comment elle a perdu espoir et confiance dans le système judiciaire et son cas semble similaire à celui d’autres victimes comme en témoigne la campagne de l’Advic (association irlandaise d’aide aux victimes de crime) qui plaide en faveur d'un rééquilibrage du système irlandais de justice pénale et pour que les familles de victimes d'homicide soient reconnues par le système judiciaire. Dans de telles circonstances, il pourrait être utile d'examiner le droit pénal d'autres pays pour essayer d’améliorer le système judiciaire à la fois pour les individus dans un pays donné et peut-être aussi pour un système commun sur les principes d'entraide et de respect mutuel. Mon but n’est pas de donner des leçons à qui que ce soit, les Français sont souvent considérés comme arrogants, ce qui est loin d'être intelligent. Mais, sur la base de mes 30 années d'expérience professionnelle, dont 10 ans dans un cabinet de droit américain, je tiens à souligner certaines différences importantes entre les procédures pénales française et irlandaise. Je connais aussi la douleur des proches des victimes de crimes, d'autant plus que mon propre père a été assassiné en mars 1997 dans le sud de la France. Heureusement pour ma famille et moi-même, les assassins ont été arrêtés quelques jours après le crime et condamnés à juste titre par la Cour. En fait, quand un membre de votre famille est tué, vous voulez connaître les faits. Cela devient rapidement une obsession. Qu'est-il arrivé? A-t-elle souffert et pendant combien de temps? Fréquemment, vous aussi vous vous sentez coupable. J'aurais dû être là, ou je devrais avoir dit ou fait quelque chose qui aurait peut-être empêché ce crime. Les sentiments ne sont pas toujours rationnels jusqu'à ce que vous appreniez à connaître ce qui s'est passé. Je pense que la victime ne peut surmonter la tragédie d'un crime contre un proche parent ou un ami que quand il ou elle sait ce qui est arrivé et a le soulagement de voir le tueur condamné par un tribunal pénal à une peine adéquate et suffisante. Sinon, quand vous restez dans l’ignorance et que l’affaire n'est toujours pas résolue, la douleur est permanente, ce qui peut être très destructeur sur le long terme. À cet égard, la procédure pénale française semble beaucoup moins brutale que celle qui prévaut en Irlande, mais peut-être pas moins efficace. La procédure pénale française prévoit que dans le cas d'un crime, une période d'enquête commence sous la supervision d'un juge d'instruction qui travaille aux côtés du procureur pour établir les faits et diriger l’enquête de police. Le juge d'instruction doit prendre en considération tous les faits pertinents et des preuves et, en ce qui concerne les suspects, trouver le juste équilibre entre les éléments à charge et à décharge. Quand il estime qu'il y a des preuves suffisantes et grave contre un suspect, il doit l'inculper et éventuellement émettre un mandat d'arrêt. Lorsqu'un suspect est inculpé, il a accès au dossier pénal et est assisté par un avocat, avec un recours juridique complet. Les victimes, du crime, y compris les parents et les proches peuvent demander à un avocat de les représenter dans la procédure, en se portant "partie civile". Un tel avocat a accès au dossier pénal lorsque le juge d'instruction en décide. Un CD-ROM du dossier pénal est envoyé régulièrement à l'avocat de la partie civile qui peut informer ses clients de tout progrès accompli. Ses clients ne restent pas dans l’ignorance, ce qui les rassure. En outre, l’avocat peut relayer auprès du juge d’instruction les pensées et les idées recueillies auprès son client et adresser des demandes au juge soit au cours de réunions soit par écrit. En conséquence, parce que les victimes peuvent jouer un rôle actif dans l'enquête pénale, ils se sentent mieux et automatiquement leur contribution peut être utile pour aider à résoudre l'affaire. Ceci est bien différent avec ce qui se passe en Irlande. Pendant toute la durée de l’enquête pénale de la Garda, les victimes de crimes sont mises de côté et peuvent rester dans l’ignorance totale pendant de nombreuses années. Elles souffrent beaucoup en l'absence de toute décision par le Directeur des poursuites publiques d'inculper un suspect. Ils ne savent pas ce qui s'est passé lors du crime et ce qui se passe dans la procédure pénale. C'est très difficile à vivre à long terme. En France, si l'affaire va devant un tribunal pénal après la décision du juge d’instruction confirmée par la Chambre d'Accusation, l'avocat de la partie civile sera autorisé à plaider devant la Cour au nom de ses clients, parfois pendant plusieurs heures, y compris en demandant des dédommagements de la part de la cour criminelle pour ses clients et avant les plaidoiries du procureur et des avocats de la défense. Voici un point majeur de distinction entre les deux systèmes. En droit pénal français, lorsque le juge d’instruction estime qu'il existe des preuves graves et concordantes contre une personne, il met en examen ce suspect pour ce crime. Il est présumé innocent jusqu'à ce qu'il soit finalement jugé par un tribunal pénal. À la fin de l'enquête, le juge d’instruction décide s'il y a suffisamment de preuves et sérieuses pour envoyer l'accusé à un procès ou non. Le système judiciaire français n'est pas retenu par la notion de « doute raisonnable » pour condamner, ce qui semble être un facteur décisif en Irlande pour le DPP quand il s'agit de décider de poursuivre ou non. Cette notion de doute raisonnable semble trop vague pour être appropriée. Le système judiciaire français estime qu’une bonne justice exige souvent d’aller au bout du processus de présentation d’un suspect devant un tribunal pénal où, je peux le confirmer, la vérité se révèle souvent. Si la Cour constate que le suspect non coupable, ce n'est pas considéré comme un échec de l'Etat français, mais que la justice a finalement prévalu. Au contraire, combien de parents de victimes de crimes en Irlande attendent très longtemps une décision d’inculpation de la part du DPP, qui pourrait ne jamais venir à cause de cette notion de doute raisonnable pour condamner ? Je pense que tout doute raisonnable fait toujours partie du processus jusqu'à son terme. Les décisions de ne pas poursuivre et donc de ne pas agir de la part du DPP sont souvent une cause immense de frustration pour les victimes et me paraît contraire à une bonne et équitable justice au niveau des normes européennes. Enfin, la justice française n'accepte pas le principe de plaider coupable dans les affaires pénales, qui peut également conduire à une immense frustration pour les victimes car les faits ne peut pas être exposés aussi pleinement que si l'affaire avait donnée lieu à un procès complet où les éléments de preuve doivent être exposés et où les détails finissent par émerger. Je souhaite que ces questions soient mises en débat en Irlande en vue d’une possible réforme, ce qui permettrait d'améliorer le sort des victimes et peut-être rendrait le système de justice pénale à la fois plus efficace et plus satisfaisant. Alain Spilliaert Membre du Barreau de Paris Avocat de l'Association pour la vérité sur l’Assassinat de Sophie Toscan du Plantier et sa famille as@spilliaert-avocat.commailto:as@spilliaert-avocat.comArticle_Irish_Times-03-09-2012_files/Irish%20Times-03-09-12-F.pdfshapeimage_2_link_0
Article d’Alain Spilliaert, avocat de la famille et de l’ASSOPH dans le Irish Times du 03/09/2012 : donner une voix aux victimes d’actes criminelshttp://www.irishtimes.com/newspaper/finance/2012/0903/1224323531808.html

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